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Elle a maquillé 4 présidents américains

Audrey Lefevre est maquilleuse professionnelle, ancienne mannequin, coach de vie. Elle est installée à Washington depuis 11 ans.

Comment as-tu décidé de faire du maquillage ton métier ?

Dans mon premier métier j’ai appris à faire des maquillages spécifiques à la scène car j’étais chanteuse et danseuse lors de diners spectacles à Paris. J’ai aussi été mannequin professionnelle pendant 10 ans. Autour de moi j’ai vu travailler beaucoup de coiffeurs, maquilleurs, designers, stylistes. En dépit ce que l’on peut s’imaginer sur ce milieu qui met en avant la beauté, je me comparais beaucoup aux autres et ne me trouvais pas particulièrement avantagée. Et puis un jour une maquilleuse m’a révélée à moi-même : elle m’avait maquillée sans que je me voie pour un shooting photo. Quand j’ai découvert ce qu’elle avait fait, je me suis pour la première fois de ma vie trouvée canon. Elle ne m’avait pas transformée, elle m‘avait révélée comme par magie. Ça a été le déclic : j’ai décidé que je voulais faire ce métier pour rendre les gens beaux.

Quelle est ta formation ?

J’ai demandé à cette maquilleuse quelle était la sienne et j’ai donc suivi la même : l’École Christian Chauveau à Paris. En m’installant à Washington j’ai aussi suivi des cours dans une école à Arlington pendant six mois. L’univers du maquillage est très varié, avec des spécialisations comme pour le cinéma par exemple. Moi j’ai choisi celui destiné à la télévision, aux événements en public, aux mariages et aux photo shoots.

Quels sont les aspects de ton métier que tu préfères ?  

Sans aucune hésitation la connexion avec l’Humain. Je fais ce métier parce qu’il y a eu cette révélation envers moi-même. Autour de moi j’avais toujours plein de personnes qui me faisaient des compliments. Je les entendais, je voyais qu’elles faisaient ressortir le meilleur de moi-même, et que le rendu était beau.  Mais au fond de moi je doutais toujours : depuis petite j’étais très timide, très introvertie. J’ai eu un problème physique sur mon visage jusqu’à 16 ans, qui m’a valu d’être souvent harcelée à l’école. 

Je sais ce que c’est que de ne pas se sentir à la hauteur, de ne pas se voir réellement comme on est. Je veux apporter à mes clients cette magie pour qu’ils osent des choses qu’ils n’ont pas encore développées. Quand on est en confiance, bien dans sa peau, cela rejaillit sur tout.  

Comment t’es-tu fait connaître aux USA ?

Les débuts ont été difficiles parce que je devais construire mon réseau, trouver l’aplomb nécessaire après dix ans de pause (je suis devenue maman de deux enfants et nous avons habité plusieurs pays) et mon anglais était encore hésitant. Je voulais tellement réussir dans ce pays ! J’ai accepté beaucoup de missions et j’ai travaillé dur : horaires et destinations multiples. Une amie m’a alors recommandé de m’inscrire au réseau « Beauty On Demand ». Cela m’a mis le pied à l’étrier, mais doucement. J’ai donc cherché des sociétés similaires et j’ai postulé pour une compagnie à New-York. Ils m’ont fait passer toute une série de tests avant de m’appeler en décembre 2016 pour me dire qu’ils voulaient que je collabore avec leur équipe de 6 personnes pour maquiller des gens importants lors de l’investiture de Trump. Je rentrais juste d’un gros défilé de mode à Las Vegas où j’avais maquillé des filles à une cadence très soutenue. Je savais que je pouvais gérer la pression, et travailler dans l’urgence si nécessaire (Je peux faire un maquillage en 30 minutes top chrono). 

Ce que je n’ai découvert qu’au dernier moment c’est qu’on allait maquiller les membres de la famille Trump elle-même pour tous les événements des trois jours suivants. 

À la suite de ces trois jours, Ivanka m’avait remarquée et m’avait demandé de travailler avec elle. Le rythme était particulier parce qu’elle avait des engagements et il fallait qu’elle soit maquillée, donc avec horaires matinaux et tardifs pour moi. J’avais bien entendu signé une clause de non-divulgation. Or, un matin je me suis réveillée et j’ai reçu plein de notifications et de messages « C’est génial, bravo, tu es partout dans les journaux ! ». En fait, un paparazzi m’avait prise en photo alors que je rendais chez elle et que je portais un sac avec le logo de la société pour laquelle je travaillais. Forcément ça a été un tremplin pour moi et ma carrière s’est envolée !

Quel est le profil de ta clientèle ? 

Ce sont des femmes CEO, femmes d’affaires, des politiciens et politiciennes (j’ai maquillé 4 présidents différents pour la télévision), des millionnaires, des milliardaires. Ce qui me touche c’est que malgré leurs moyens et leurs réseaux colossaux, ils gardent une part d’humanité qui est souvent liée aux aspects qu’ils ne maitrisent pas plus que le commun des mortels : la peur de souffrir, d’être malade, de vieillir. Bien sûr j’ai un grand respect pour eux, pour ce qu’ils accomplissent, mais je les vois toujours comme des êtres humains, pas supérieurs dans leur humanité à toutes les autres personnes. Et puis avec moi on aborde quand même une part de leur intimité. Ils se livrent, surtout les femmes, sur leurs défauts physiques par exemple. Cela développe forcément une relation à part et qui me plait.  

Peux-tu citer un exemple concret ?

En 2018, j’ai rencontré une nouvelle cliente qui était (est toujours) une scientifique renommée dans la recherche contre le Sida. C’était une femme très cartésienne, dont le maquillage ne faisait absolument pas partie de l’environnement. Je sentais qu’elle n’était pas en confiance. Alors je l’ai fait parler d’elle pour créer un cocon sécuritaire et bienveillant. Elle a commencé à se livrer jusqu’à me faire part de sa peur de parler devant plus de 1000 personnes. En extériorisant ses angoisses, cela l’a libérée et je crois qu’elle a fait un super discours !

Donnes-tu des cours ou des formations ?

Oui : je donne des cours à mes clients qui le souhaitent. J’ai une trame que je suis et je m’adapte en fonction de chaque personne. Je ne le fais qu’en présentiel car j’ai besoin de toucher, d’observer la peau, les muscles. Je pose beaucoup de questions sur l’état d’esprit, le métier, les habitudes de vie. Et mon travail est toujours dirigé dans un but unique : révéler, magnifier.

Quelles sont les différences fondamentales entre le maquillage à la française et à l’américaine ?

Quand j’ai suivi la formation à Arlington, j’ai pris peur : ce n’était pas ce qu’on m’avait appris en France. Le but était de cacher, colmater, en gros appliquer de la peinture : Ici ils ont tendance à penser que plus ils vont en rajouter plus on va les voir.

 Ce n’était pas du tout mon approche : en France on ne cache pas, on révèle. 

J’ai décidé de travailler en accord avec l’art du maquillage tel que je le concevais moi. Et contre toute attente ça a marché car les gens ont réalisé qu’ils pouvaient ressembler à une Française.

Quelles sont tes marques de maquillage favorites ?

Je travaille avec plusieurs marques. Comme je dis à mes clients : ce qui compte ce n’est pas le produit mais la façon de l’utiliser. J’utilise des marques de luxe car elles ont un intérêt technique. Les fars Dior par exemple sont plus riches en intensité.

Si la cliente est en stress parce qu’elle préfère que j’utilise son fond de teint, je suis souple. Ou encore pour celles qui ont des allergies j’utilise leurs produits. 

As-tu une anecdote à raconter ?

J’en ai vécu tellement ! Étant donné la nature de mes clients, les anecdotes font partie de mon quotidien. J’en ai des drôles, des insolites, des hors-sol.

Je peux te citer par exemple cette grande politicienne qui a été d’une humeur massacrante avec toute son équipe et que j’ai refusé de servir. 

J’ai aussi cette autre politicienne de 70 ans, qui est devant le congrès toutes les semaines, une femme forte, et qui un jour m’ouvre la porte et me tombe dans les bras en pleurant. Elle se lâche, et ça devient une séance de psy. Ça a créé un moment déclencheur et une confiance humaine s’est installée. Depuis et elle s’est mise à me partager ses speeches et me demander mon avis.

Et puis j’ai ce souvenir irréel : en 2019 on me donne rendez-vous pour maquiller une femme. En arrivant la personne à la sécurité me dit : « ah vous ne savez pas en fait qui vous êtes venue maquiller ? Le nom qu’on vous a donné est un nom de code. Vous allez maquiller le vice-président Joe Biden ». C’était juste avant de lancer sa campagne pour les présidentielles. Il était très charismatique, mais comme je ne me suis jamais laissé impressionner par les gens, j’étais plutôt à l’aise. On a discuté et puis il était curieux que je sois française. J’étais en pleine procédure pour obtenir la nationalité américaine, et je lui ai expliqué qu’apprendre en détail le fonctionnement de la Constitution me donnait du fil à retordre. Il m’a alors donné un cours de 10 minutes sur ce sujet. Nous avons discuté de nos familles, montré des photos. C’est une heure et demie de ma vie que je n’oublierai jamais.

Joe Biden a changé beaucoup de choses pour moi.

Quels sont tes projets ? 

C’est drôle que tu me demandes cela parce que justement, je m’apprête à concrétiser un gros projet qui me tient à cœur et qui n’a rien à voir avec mon métier, même si c’est le maquillage qui m’y a amenée. Je lance à partir de samedi 22 juin 2024 une chaine You Tube : « Parcours authentiques ». 

Ce sont des dialogues d’une heure en moyenne avec des personnalités de la télévision française dans tous les domaines. Mon but c’est d’inspirer les gens à décrocher leurs rêves. Je crois que tout le monde est capable de cela. Ces personnes ont surmonté des défis : qu’-est ce qui a fait qu’ils sont allés au-delà ; qui les a inspirés, aidés ? Qu’ont-ils dû traverser émotionnellement et que le public n’a pas vu ni perçu. Mes interviewés ne connaissent pas mes questions. On retrace leurs parcours en cherchant à montrer l’envers du décor. 

Je travaille sur ce projet avec ma sœur et comme tu t’en doutes c’est un gros travail. On espère que le succès sera au rendez-vous.

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