Comment es-tu arrivée aux Etats-Unis ?
Je suis arrivée il y a dix ans, suite à une relocalisation après 17 années à Paris et Londres dans le cadre de mes missions pour les laboratoires Pfizer. Pendant le COVID il y a eu plein de réorganisations et c’était l’année de mes 40 ans. Je me suis dit que c’était le moment de changer.
Comment t’est venue l’idée de tricoter et d’en faire ton métier en si peu de temps ?
Le gag c’est que je ne tricotais pas du tout. Toutefois, quand j’étais enfant, je faisais pas mal de bricolages (vêtements pour mes poupées, bijoux…) inspirée par les gens de ma famille, dans le Sud-Ouest, qui faisaient tous des choses de leurs mains : une famille de viticulteurs, des grands-mères talentueuses en couture, tricot, cuisine…
Quand la crise du Covid a commencé, ma fille avait 3 ans ½ et j’ai voulu l’occuper en faisant des pompons, des bracelets… Et puis on ne trouvait pas de masques. Je me suis donc mise à en coudre. En regardant des tutoriels sur internet, j’ai vu des vidéos sur le tricot et j’ai eu envie d’essayer. Ça m’allait bien : j’y arrivais et je progressais rapidement. Et j’ai eu le déclic.
La construction de mon business a commencé par une idée d’un partenariat transatlantique car je suivais « Ma Petite Laine » en France. Je connaissais personnellement les fondatrices, Agathe et Olivia. Je les ai contactées pour proposer une collaboration. On ne voulait pas faire d’import-export de produits cat l’acheminement et les coûts compliquent tout. La solution a été de faire un contrat de propriété intellectuelle. J’adapte leur cocon breveté au marché américain et j’en ai l’exclusivité.
Le partenariat avec Ma Petite Laine s’est aussi étendu à leur « Pantalon magique » que les enfants peuvent porter de 2 à 18 mois, sans couture, sans bouton, 100% tricoté.
Est-ce que tu peux expliquer ce que c’est qu’un cocon ?
Le cocon de Ma Petite Laine a été créé en 2018. Ma fille est née deux ans avant et j’ai trouvé que cela m’aurait beaucoup aidée quand elle était bébé. Le cocon est basé sur la coutume de l’emmaillotage, avec en plus un concept très doux. Il conforte le bébé, lui permet un sommeil de meilleure qualité. Ce qui a des répercussions sur toute la famille ! Par exemple, l’emmaillotage aide à contenir le réflexe de Moro et donc au ré-endormissement du bébé, par lui-même (celui qui fait sursauter d’un coup et réveille de façon très désagréable…). Aux USA, l’emmaillotage traditionnel des bébés est très répandu. Il n’est pas si simple à réaliser correctement, et ne peut plus être fait lorsque le bébé arrive à se tourner (6-8 semaines), alors que le cocon, laissant les mains libres, est utilisable jusqu’à 6 mois.
Quelles ont été les étapes suivantes pour lancer ton activité ?
D’abord que je me lançais concrètement dans l’aventure entrepreneuriale qui ne faisait pas du tout partie de mes plans. J’ai un diplôme d’école de commerce, mais cela remonte à loin ! J’ai fait une étude de marché et réalisé qu’aux USA l’emmaillotage traditionnel est recommandé jusqu’à 6-8 semaines, puis jusqu’à 18 mois c’est l’emmaillotage doux. Le cocon avait donc toute sa place pour se développer ici.
J’ai cherché un fournisseur de laine local, qui soit concentré sur la qualité et l’éco-responsabilité. Il fallait que j’étudie aussi comment tout ceci fonctionne : le filage, le type de laine, les couleurs utilisées, la durabilité…
Ensuite il a fallu que j’adapte le cocon aux USA : la laine n’est pas exactement la même et le cocon américain est un peu plus grand car les bébés américains sont en moyenne plus grands.
Et puis j’ai inventé le nom de mon entreprise qui est la combinaison de Brooklyn et Knitting (tricoter).
Quel type de laine proposes-tu et d’où provient-elle ?
Pour des questions de sécurité, de durabilité et de confort, je ne propose que de la laine de moutons Mérinos. Contrairement au coton qui reste mouillé quand on transpire, la laine Mérinos respire. Pour cela elle est de plus en plus utilisée pour des vêtements sportifs. Pour un bébé dans un cocon, la période de canicule n’est pas un souci. Elle est totalement anti-allergie, très douce et ne peluche pas.
Comme la production aux USA n’est pas suffisante pour répondre à la demande, une partie de la laine vient d’Afrique du Sud, d’une ferme gérée dans les mêmes conditions que celles de la filature qui me fournit. Cette filature se trouve dans le Nord de l’État de New-York.
Depuis ton lancement comment as-tu agrandi ton offre ?
Le cocon m’a guidée, puis j’ai proposé d’autres kits, avec des tutoriels pour rendre le tricot accessible à tous. Je me suis revue moi-même au début et j’ai eu envie de créer des vidéos qui répondent à toutes les questions qui surgissent quand on n’y connait rien. Mes vidéos ont des QR codes pour pouvoir se rendre directement à la section dont on a besoin.
Pour des tricoteuses aguerries, même le vocabulaire parait évident. Il était important pour moi de partir de zéro. J’ai ainsi composé un premier kit pour tricoter 4 bandeaux différents. Cela permet de se familiariser tout en obtenant des réalisations rapides.
Dans tout ce que je propose, j’introduis une « French Touch » qui me permet de me démarquer et de donne une identité à ma marque. Je propose des kits pour faire des bonnets, des écharpes, des couvertures, et bien sûr pour faire des cocons.
Je donne aussi des cours : au début je ne voulais pas car je pensais que je n’étais pas assez qualifiée. Et puis ce sont les gens qui m’ont incitée à me lancer. Depuis septembre 2023 je donne des cours dans une école à des enfants, dans le cadre d’activités extra-scolaires. Je le fais en français et en anglais. Ça permet de faire d’une pierre deux coups ! Les enfants aiment beaucoup. Et pour les adultes, j’organise souvent dans des cafés des « Sip’N’Knit». C’est très amusant et convivial. Je suis ouverte pour faire des cours ailleurs : ces workshops me demandent beaucoup d’énergie et d’organisation, alors si cela grandit trop il faudra que je trouve, ou forme de nouveaux coachs de tricot.
Y a-t-il beaucoup de gens qui tricotent aux USA ?
Figure-toi que les Américains tricotent plus que les Français. Un peu comme dans tous les pays nordiques d’ailleurs. Aux USA il y a 53 millions de personnes qui savent tricoter ou crocheter. 1/3 des femmes ont appris à le faire. Cela représente un très gros marché.
Et Michèle Obama s’y est mise pendant le Covid et en a publiquement parlé, rendant l’activité encore plus populaire.
De plus, les gens ont besoin d’activités réconfortantes et qui les détendent. Tricoter apporte beaucoup de bénéfices sur la santé mentale et physique. Et il faut peu d’espace et d’installation. On peut le faire absolument partout, d’autant que mes kits comprennent des aiguilles courtes, circulaires et reliées entre elles qui prennent très peu de place (idéal dans les transports par exemple). Sur LinkedIn je communique beaucoup sur ces aspects dont on a moins conscience.
A ton avis qu’est-ce qui attire les gens vers cette activité ?
Je crois que tout le monde a un lien avec le tricot. Soit cela remonte à l’enfance, soit c’est une activité que les gens n’ont jamais arrêtée. Il y a un lien sentimental, d’autant que ce que des personnes ont tricoté, l’ont fait maille après maille, en y mettant beaucoup d’amour. Ce sont des pièces familiales qu’on se passe de génération en génération et qui ne se donnent ni ne se jettent.
Personnellement, j’ai montré ce que je faisais à une grand-mère, amie de la famille, et cela nous a beaucoup touchées toutes les deux de ressentir ce lien, ce relai. Dans un Sip’N’Knit, je me souviens de ce couple de trentenaires qui étaient à fond tous les deux. C’était touchant !
Combien de temps faut-il envisager pour tricoter tes kits ?
Évidemment au début c’est difficile à dire. Soit on prend vite le coup de main, soit on va mettre un peu plus de temps. Mais tout le monde y arrive, c’est ça qui est chouette !
Une fois qu’on a trouvé le truc, on peut faire un bandeau en 3 à 4 heures. Personnellement je mets environ 2 heures aujourd’hui
Pour un cocon, (j’en ai tricoté 50) il faut compter entre 8 et 10 heures. Et pour un châle, 40 à 45 heures.
Quels sont tes projets ?
C’est une grosse saison pour moi : je participerai à des marchés de Noël dans la région de New-York et dans le New-Jersey : un avec l’école French American Academy à Englewood NJ, un avec l’association Accueil NYC, au lycée Kennedy marche de Noël.
J’en ai un autre à Brooklyn, avec l’école PS9 dans le quartier de Prospect Heights, et deux dans la petite ville d’Hoboken, NJ. Ensuite, mi-janvier, il y aura probablement un nouveau « Sip’N’Knit » à Au Cabanon. Avec French Wink, je suis en train de développer une collection « marinière ».