Depuis quand êtes-vous installée aux USA et comment y êtes-vous arrivée ?
J’y suis arrivée en 2011 après avoir terminé un doctorat à Sorbonne. Je voulais me former aux USA en faisant un post-doctorat à Harvard sur six mois, qui se sont transformés en deux ans puis un deuxième doctorat. J’aime apprendre et ma formation interdisciplinaire sur deux continents me permet d’être un pont entre les chercheurs et les cliniciens : je trouve qu’il y a encore trop peu d’interdisciplinarité, or ce sont des univers qui devraient se « parler » davantage. Comme je viens de la psychologie, de la philosophie et des sciences cognitives, je parle ces trois « langues » au quotidien dans mon travail.
Quels sont les différents professionnels de la santé mentale et leurs différences ?
Les psychiatres ont fait l’école de médecine avec une spécialisation en psychiatrie. Ce sont eux qui prescrivent des médicaments, comme les antidépresseurs. Le plus souvent, leur rôle est complémentaire d’une thérapie avec une psychologue, quand il y a besoin d’un « coup de pouce » médicamenteux.
Les psychologues sont les spécialistes du suivi sous forme de thérapie pour gérer les émotions et les sentiments. Les psychologues doivent compléter un doctorat suivi d’une ou plusieurs années de post-doctorat. C’est une profession règlementée afin de garantir la qualité de la formation et des soins proposés. Les psychologues et neuropsychologues peuvent faire des tests d’évaluation (tests cognitifs, QI, personnalité…) et peuvent délivrer des attestations dans le cadre de certaines procédures juridiques.
Les psychopraticiens ou psychothérapeutes regroupent les praticiens du champ « psy » : sophrologue, hypnothérapeute… C’est un terme non réglementé. Il faut donc bien se renseigner pour comprendre les qualifications de chaque personne avant de consulter.
Puis il y a les assistants sociaux qui jouent un rôle de mise en contact et orientent les personnes vers les professionnels compétents.
Pouvez-vous nous décrire vos activités en tant que psychologue clinicienne ?
J’ai un cabinet privé où je reçois les clients en ligne, et en présentiel quand c’est possible. Après 18 ans de recherches universitaires, je mets les données les plus fiables au service de mes patients en proposant un suivi personnalisé, adapté aux besoins de chacun.
Je suis également cheffe de projet aux Académies nationales des sciences, de l’ingénierie et de la médecine où je conseille le Congrès et le Ministère de la Défense américain sur la normalisation des procédures médicales pour les transplantations du visage et de la main.
En parallèle de ma pratique, je suis Présidente de l’association à but non-lucratif Harvard Alumni for Mental Health Inc, où le travail de mon équipe pour faciliter l’accès aux soins de santé mentale pour plus de 400 000 anciens élèves autour du monde a été reconnu en 2023 par le prix Harvard Alumni Outstanding Community Impact.
Je continue d’enseigner au département de psychiatrie de la faculté de médecine UCLA, et je suis certifiée auprès de Physicians for Human Rights, pour produire des expertises médico-légales dans les cadres de procédures de demande d’asile, de carte verte ou de nationalisation. Quand je peux, je me porte volontaire pour offrir des services pro bono grâce à une alliance professionnelle internationale qui alerte sur les cas en détresse.
Dans votre pratique privée, quel est le profil de vos clients ?
Je me suis spécialisée dans le soutien aux personnes qui vivent dans un environnement multiculturel, que ce soit pour optimiser la communication dans un couple multiculturel, accompagner un ajustement culturel lors d’une expatriation, ou pour optimiser le leadership d’un CEO qui reprend une équipe internationale. Je travaille beaucoup avec des personnes à haut potentiel (cadres dirigeants de multinationales, sportifs de haut niveau, artistes), dont la carrière publique et le niveau de performance exigent une psychologue capable de produire des résultats rapides sur des enjeux de taille.
Pouvez-vous décrire les différences entre une thérapie individuelle, une thérapie de couple, et une thérapie familiale ?
C’est une question que l’on me pose souvent. Une thérapie individuelle permet à chacun de mieux comprendre son vécu et les sources d’une souffrance. Le psychologue aide le patient à faire des liens entre certaines expériences et son comportement, puis à réévaluer certaines croyances et habitudes de pensée pour gagner en flexibilité de comportement. La thérapie opère par le biais d’une conversation et d’exercices pratiqués en séance ou entre les séances pour développer les outils qui permettent de ne pas rester bloquer.
Une thérapie de couple a lieu en présence des deux personnes. En parlant devant la psychologue des sujets qui leur posent problème, le couple est amené à identifier les schémas de communication répétitifs qui mènent souvent à une impasse, puis à acquérir de nouveaux outils de communication afin d’ouvrir une voie de résolution. Une thérapie familiale s’étend au couple avec des enfants, jeunes ou adultes. Là, il s’agit d’identifier les dynamiques en jeu afin que la famille, avec l’aide du psychologue, opère les changements progressifs qui permettent une amélioration des relations.
Au fil des thérapies, il peut arriver que l’on bascule d’un type de thérapie vers un autre, en fonction des besoins et des problématiques.
Quelles sont les étapes d’une thérapie avec vous ?
Durant les trois premières séances, je vais analyser et comprendre en profondeur les enjeux. Ensuite je communique mon feedback, propose un objectif thérapeutique, les outils que je vais utiliser, et estime une durée de traitement. Ensuite, tous les trois mois, je fais un point avec mes patients pour assurer l’efficacité de l’intervention.
J’imagine que l’on vous demande souvent combien de temps va durer la thérapie ?
Tout dépend des objectifs de traitement. Prenons l’exemple d’une thérapie suite à un traumatisme. Si le traumatisme est récent, et que mon intervention se fait « à chaud » comme je le fais pour des couples qui ont un bébé en soins intensifs après une naissance traumatique, le travail peut se faire sur 3 ou 4 mois en moyenne. Si le traumatisme remonte à l’enfance, il faut en général plus de temps car il est plus difficile de détricoter des croyances fondamentales qui ont été intégrées et ancrées au fil de plusieurs décennies.
Comment bien choisir son thérapeute ?
Pour que la thérapie soit efficace, il vous faut quelqu’un qui vous mette assez en confiance pour aborder les sujets qui vous mettent mal à l’aise tout en étant capable de vous pousser à faire le travail que vous n’auriez pas fait seul. Si vous vous évitez les sujets qui fâchent, soit parce que vous n’êtes pas en confiance, soit parce que le thérapeute ne cible pas assez l’intervention, la thérapie va manquer sa cible. Il est normal d’essayer plusieurs professionnels avant de trouver le bon match.
Je conseille aussi de vérifier les licences des professionnels. Car un des dangers, c’est quand des patients pensent « j’ai essayé, ça ne marche pas » parce qu’ils ont consulté un professionnel non qualifié. Aux USA vous pouvez vous rendre sur le site de votre État qui se termine par « .gov » pour consulter les licences et leurs dates de validité.
Vous m’avez dit plus haut qu’une de vos spécialités est de travailler dans un contexte multiculturel ?
En effet, je travaille avec des personnes qui sont touchées dans leur sphère privée ou professionnelle par les questions de mélange de cultures. J’ai des couples dont les deux parents sont chacun d’une nationalité, qui élèvent leurs enfants dans un troisième pays. Il arrive qu’ils rencontrent des difficultés à se comprendre parce que ce qui leur parait évident dans leur culture ne l’est pas pour les autres. Et ils ont parfois du mal à comprendre que l’autre ne comprenne pas, entrainant le couple et la famille dans un cercle vicieux.
En ce qui concerne le cas qui nous est familier, être français vivant aux USA, il est fréquent que certaines notions posent problème : par exemple le besoin de faire sa promotion au travail, la façon dont on forme des amitiés dans son quartier, ou encore la notion de vie privée sont très différentes entre la France et les Etats-Unis. Pour la fierté, il est naturel pour un Américain de l’afficher, quand un Français la considère souvent comme de l’arrogance. (Je généralise, mais c’est pour illustrer mon propos).
A votre avis, pourquoi l’Amérique du Nord est en général beaucoup plus avancée dans la recherche que l’Europe ?
C’est une question intéressante. Je ne comparerais pas les niveaux d’avancées, plutôt les façons de considérer la recherche. Aux USA il n’y a quasiment pas de recherche fondamentale : pour attirer des financements, il faut démontrer que la recherche a un potentiel de retour sur investissement. Du coup c’est une recherche « choisie ». Et certains programmes de recherches sont abandonnés car ils n’ont plus de financement. En Europe et en France en particulier, nous faisons encore de la recherche fondamentale et les résultats sont parfois extraordinaires. Pour prendre un exemple récent sur un sujet que je connais bien, la première greffe mondiale du visage a été réalisée en France.
Avez-vous le temps d’écrire des livres ?
J’avais déjà co-écrit plusieurs livres et, l’an dernier, j’ai enfin publié mon premier livre de philosophie. Il me trottait dans la tête depuis 12 ans et je me suis finalement associée aux Editions Ellipses après avoir reçu le prix du meilleur cours à Harvard en 2018. C’est un précis de méthode qui montre de vraies dissertations de philo du bac à l’agrégation et présente les stratégies d’optimisation de préparation que j’utilise avec mes athlètes et mes CEO. Il s’appelle : « Réussir la dissertation de philosophie ».
J’ai deux autres projets de livres qui vont parler des thérapies pour lesquelles il y a peu de prise en compte : les hauts potentiels et l’interculturalité. Je voudrais partager les techniques que j’ai mises en œuvre pour intervenir auprès des gens qui ont de grosses pressions avec des enjeux cruciaux. Expliquer comment je les coache dans une performance de haut niveau (compétition sportive, concert, campagne politique…)