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Un journaliste humaniste aux USA

Alexis Buisson est journaliste correspondant aux USA pour des médias francophones européens, basé à New-York. Il est aussi l’auteur d’un guide sur New York, d’une biographie de la vice-présidente Kamala Harris, ainsi que d’une lettre d’information en français dédiée à la politique américaine, Le Caucus.

Depuis quand vis-tu aux Etats-Unis et qu’est-ce qui t’y a amené ?

En 2005, je suis venu étudier à Boston University (BU) dans le cadre d’un échange avec Science Po. A mon retour à Paris, je cherchais à venir m’installer à New-York, comme correspondant de médias francophones. J’ai travaillé pour Rue 89, Têtu Magazine et un groupe de radios cantonales suisses. De fil en aiguille, j’ai élargi mon réseau.

Aujourd’hui je suis correspondant pour des journaux et des sites d’informations. Je travaille entre autres pour La Croix, La Tribune de Genève, La Libre Belgique, Télérama, Le Point, Mediapart et French Morning. Ce dernier est le principal média d’information des Français aux Etats-Unis et j’en ai été le rédacteur en chef entre 2011 et 2019.

Quels sont les sujets que tu couvres ?

Mon job c’est de suivre l’actualité américaine dans son ensemble : économique, sociale, culturelle, politique. Les médias pour lesquels je travaille sont très différents et ont chacun leurs centres d’intérêts. Par exemple, La Croix aime traiter l’actualité avec un angle humaniste. Pour Télérama, il s’agira davantage du prisme culturel. Pour Mediapart, le social…

Comment vois-tu ton rôle de journaliste ?

En tant que correspondant, je considère que mon rôle est de servir le public français et francophone. Je m’inscris dans un rôle de journaliste positif, constructif et pédagogique. Je ne suis pas dans la course aux informations négatives. Mon but est de raconter, avec humilité, ce qui se passe dans ce vaste et complexe pays que sont les États-Unis et tordre le cou à quelques préjugés au passage pour apporter un regard nuancé sur les USA.

Quelles sont tes sources d’informations ?

Aux USA, comme ailleurs, chacun a tendance à vivre dans sa bulle d’opinion et suit des médias qui vont le conforter dans ses idées. Je m’efforce donc de suivre des organes de presse très différents pour comprendre ce qui se passe dans ces différentes « bulles ».

Chaque matin je passe une heure à lire certains médias qui sont des références : Vox, Axios, le New-York Times, le Wall Street Journal, le Washington Post, Fox News. Je lis aussi les newsletters et écoute des podcasts de personnalités conservatrices et libérales pour avoir différents sons de cloche sur un même sujet. Je trouve aussi beaucoup d’idées d’articles en parlant avec des amis ou des gens que je rencontre en reportage et qui vont attirer mon attention sur un point.

Je sais ce qui m’intéresse et ce qui intéresse les lecteurs en France ou Europe, ce qui peut faire débat ou apporter un éclairage, donc je regarde les informations avec ce prisme.

A ton avis, quels sont les médias « neutres » aux USA ?

Je pense que le New-York Times et le Washington Post sont relativement neutres. Je comprends les critiques qui leur sont adressées mais de façon générale ils font partie des médias les plus sérieux au monde, avec des journalistes de très grande qualité.

Passionné de politique tu as aussi créé une lettre d’information intitulée Le Caucus ; en quoi consiste-t-elle ?

Je l’ai lancée en février 2024 avec comme objectif d’offrir une perspective détaillée sur la politique américaine. C’est une activité à part qui se nourrit de mon travail pour les autres médias. Je l’ai lancée parce que j’étais frustré d’être limité par le temps et l’espace, alors que je voulais donner plus d’explications sur certains sujets. Avec Le Caucus, j’ai un espace de liberté où je peux entrer dans le détail des thèmes que je couvre, comme la lecture des sondages de l’élection présidentielle ou la vague de démission des élus au Congrès.

Tout le monde peut recevoir par email cette lettre d’information, et choisir de s’abonner gratuitement ou via une formule payante pour soutenir mon travail : https://alexisbuisson.substack.com/. J’ai aujourd’hui 9 000 lecteurs et plusieurs centaines d’abonnés. Parmi ces derniers, on trouve de personnes impliquées dans les relations franco-américaines : professeurs, chercheurs, responsables associatifs, élus…

Est-ce que c’est facile de rester objectif, quand certainement tu as aussi ta propre opinion ?

Je trouve qu’aujourd’hui l’objectivité est une notion dépassée. Choisir de parler d’un sujet ou non est déjà un choix subjectif. Ce qui différencie un média fiable ou non c’est l’honnêteté. S’ils font leur boulot avec éthique, c’est-à-dire en citant leurs sources et en rectifiant leurs erreurs, cela signifie qu’ils prennent le métier (et le public) au sérieux.

A ce propos, quels conseils peux-tu donner pour apprendre à décrypter les vraies informations des fausses ?

De base, il faut lire toute info avec une dose de scepticisme, même quand elle provient de médias établis, et se poser des questions. Certains journalistes, blogueurs, ou influenceurs font semblant d’être des journalistes. En réalité ils relayent des informations sans les avoir vérifiées, et sans jamais reconnaitre leurs erreurs.

Il faut avoir une lecture critique et chercher :

– qui est l’auteur de l’article ?

– est-ce que cette personne est crédible ?

– a-t-elle un historique d’honnêteté ?

– est-ce quelqu’un qui est dans la propagande ?

– est-ce que cette personne cite des sources et est-ce que ces sources sont crédibles, identifiées ?

– les sources sont-elles récentes, datées ?

– est-ce que cette personne démontre une éthique professionnelle en apportant des correctifs quand elle se trompe ?

– et puis, est-ce que ce média affiche clairement ses contacts et la composition de sa rédaction ? (L’endroit d’un journal que l’on appelle « l’ours »)

Plus un article est précis et factuel, plus vous pouvez lui faire confiance. Avant de partager un article, il faut le lire en entier, toujours avec un esprit critique.

J’aime bien faire un parallèle entre l’information et l’alimentation : on ne mange pas de la nourriture dont on ne connait pas la provenance ou périmée. Pour les infos cela devrait être pareil ! Ce qui m’inquiète c’est à quel point les citoyens n’effectuent pas ce travail de vérification, qu’on devrait faire pour tout un tas de choses. Les gens se font manipuler par certains acteurs malveillants.

Ce sujet me tient à cœur et j’ai fait des interventions dans des écoles pour montrer aux enfants ce qui doit les alerter et comment mener leurs recherches. J’aimerais beaucoup le faire encore.

Quel est l’article que tu as publié dont tu es le plus fier ?

Je pense que c’est un article récent que j’ai dédié à ma future fille sur les racines de la haine et que j’ai écrit pour le magazine La Croix Hebdo. Le sujet était : Pourquoi hait-on ? Est-ce qu’on nait avec ce sentiment ou est-ce qu’on le développe ? Comment aller contre ? En tant que journaliste humaniste, cela m’a beaucoup intéressé de décortiquer ce sentiment humain pour dégager des pistes de réflexion sur comment le combattre. 

J’ai aussi fait un podcast pour La Croix sur le Fleuve Colorado il y a deux ans qui m’a beaucoup touché. Ce fleuve mythique est en train de disparaitre, et les rencontres que j’ai faite lors de ce reportage au fil du fleuve, ainsi que les paysages, étaient très fortes.

Quel a été le sujet le plus difficile que tu as eu à couvrir ?

Certainement l’attaque du Capitole, le 6 janvier 2021. J’étais sur place, éberlué par ce que je voyais, partagé entre colère, choc et interrogations. Comme je ne fais pas de directs pour la télévision, le fait d’écrire après cette attaque m’a permis de prendre du recul. Mais c’est un moment que je n’oublierai pas.

Il y a aussi eu mon dernier reportage dans l’Arkansas sur les luttes pour rétablir le droit à l’avortement – il est complètement interdit là-bas. C’était émouvant pour moi d’entendre des mères dire qu’elles ne voulaient pas élever leurs filles dans un tel État, car je vais avoir une fille.

Comment as-tu écrit ton livre « Kamala Harris, La biographie » ?

J’ai mis un an à interviewer des gens de sa famille, des experts, des amis, des collègues, des ennemis politiques. Il est paru en 2023 et malheureusement je n’ai pas pu la rencontrer car cela a correspondu à un moment où ses équipes changeaient tout le temps et j’ai compris que le moment n’était pas le bon. Mais j’aimerais bien la voir un jour ! https://www.interforum.fr/Affiliations/accueil.do?refLivre=9782809842531&refEditeur=45&type=P

Y a-t-il une anecdote dans ta carrière qui t’a particulièrement marqué ?

C’est une chose qu’un ancien correspondant qui avait plusieurs décennies de carrière m’a dit une fois : « pour bien couvrir les États-Unis, il faut les aimer ». J’ai cette chance. À la différence d’autres correspondants, je suis arrivé aux US quand j’étais jeune – 19 ans – et je ne suis pas là en mission de quelques années. C’est mon pays autant que la France.

Dans cette citation, il y a aussi l’idée qu’il faut montrer une forme de respect et d’humilité vis-à-vis du peuple américain. C’est un pays complexe, avec plusieurs pays dans le pays, avec des réalités très différentes de ce que nous connaissons en tant que Français. On ne peut pas prétendre le connaître en un claquement de doigts.

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