Quand as-tu décidé que tu serais chanteuse d’opéra ?
J’ai toujours chanté ! Même quand j’étais toute petite, je passais mes journées à chanter – dans ma chambre en jouant, en faisant mes devoirs, en écoutant mes chansons préférées…Vers 6 ans j’ai demandé à mes parents de m’offrir des cours de piano. Ma prof de piano était une étudiante au conservatoire de Paris – une soprano. Au bout d’un an de leçons de piano, elle a déclaré à mes parents que je n’avais pas un grand avenir en piano, mais que je chantais pendant mes leçons. A partir de 7 ans, j’ai commencé à faire moitié piano, moitié chant, une fois par semaine. Petit à petit, grâce à ma prof j’ai découvert l’opéra et la musique classique. Au fil des années, j’ai compris que j’avais un talent. L’opéra est devenu ma passion quand je me suis rendu compte que ma vie serait nettement moins heureuse si je ne pouvais pas chanter.
Qu’est ce que tu préfères comme registre ?
J’ai un goût assez classique, j’adore le bel canto et l’opéra français – Massenet, Offenbach, Bizet, Poulenc, etc. J’aime tout ce qui est mélodieux et j’ai du mal à comprendre et ressentir la musique contemporaine.
Es-tu rattachée à une troupe ?
La plupart des auditions que je fais en ce moment sont pour des programmes de jeunes artistes qui offrent des contrats de 1 à 3 ans avec une seule maison d’opéra comme, par exemple, l’opéra Bastille à Paris ou bien le Metropolitan à New York. Ils continuent à former les jeunes artistes tout en les faisant participer à toutes les représentations de la saison.
En attendant d’être sélectionnée pour un de ses programmes, je suis indépendante. Cette année j’ai créé ma propre série de récitals, et je compte continuer à développer le volet entrepreneuriat de mon métier en montant des projets que je gère de A à Z. Je suis très organisée et j’aime beaucoup imaginer des collaborations et des événements dans lesquels l’opéra pourrait être présent, et essayer de donner vie à mes visions.
En ce moment, je ne fais pas partie d’une troupe. L’année dernière, j’ai été dans plusieurs troupes différentes, comme par exemple OperaWest à Santa Fe pour la représentation de I Pagliacci de Leoncavallo. J’ai passé un mois là-bas pour les répétitions et 6 représentations de l’opéra. J’ai aussi fait partie d’une troupe en Finlande pour la première mondiale d’un opéra sur Chernobyl. J’ai passé deux mois à Helsinki en plein hiver – c’était une sacrée expérience ! Les troupes permettent de créer des liens forts avec ses collègues. C’est presque inévitable quand on est tous loin de chez soi, et qu’on passe des journées de 8 à 10 heures en répétitions ensemble. Mais l’inconvénient c’est que ce sont des contrats à courte durée et donc, à long terme, ce n’est pas une solution idéale ou stable.
Comment te fais-tu connaître ?
J’essaie de prendre avantage de toutes les pistes possibles – réseaux sociaux, auditions, networking… Chaque audition est une opportunité de chanter pour une personne reconnue dans le monde de l’opéra et de former un premier lien avec elle. A chaque fois que je décroche un rôle, je m’acharne pour impressionner les gens qui m’ont embauchés pour m’assurer qu’ils me reprendront la prochaine fois qu’ils ont une opportunité pour moi. J’utilise aussi mon compte Instagram pour partager mes enregistrements et mes aventures ! Je chante aussi dans la rue de temps en temps quand je voyage, et souvent les gens qui m’écoutent me trouvent ensuite sur les réseaux sociaux.
Quelles différences as-tu remarqué entre les auditions aux USA et en France ?
J’ai beaucoup plus d’expérience aux USA car je viens seulement de commencer à faire des concours en France. Pour l’instant, j’ai l’impression que c’est assez similaire, mais l’ambiance entre chanteurs est différente. Aux États-Unis tout le monde fait de la parlote, souvent de manière excessivement gentille – “j’adore ta robe, tu as tellement bien chanté !” En France c’est plus franc du collier : ne me parle pas, on est en concurrence. Ça a le mérite d’être clair.
Pour ma part, j’ai constaté cette année que bien que je sois complètement bilingue et très à l’aise en France, j’ai tellement plus d’expérience professionnelle aux USA que j’y suis plus détendue.
Au moins, en France, mon parcours éveille la curiosité et c’est toujours bon de se démarquer : bien que les compagnies françaises soient assez conservatrices, elles savent que les conservatoires américains sont très bons et peuvent apporter quelque chose de différent.
Dans quel endroit préfères-tu chanter ?
J’ai ma série de récitals qui va commencer en mars avec un concert à Los Angeles. Ensuite, il y aura un deuxième concert en Caroline du Nord en avril, puis un dernier à Paris en mai. Pendant ce temps, je continue à faire des concours et à travailler avec ma prof de chant pour préparer la prochaine saison d’auditions qui commencera en juillet. Je propose aussi des concerts privés à domicile : je viens d’être embauchée pour en faire un à Lyon cette année, et peut-être un autre à Los Angeles.
Y a-t-il un endroit où tu rêverais de chanter ?
Sans hésitation à l’Opéra Garnier une fois dans ma vie !
As-tu déjà été approchée par le cinéma ?
Jamais, mais ça pourrait m’intéresser.
Y a-t-il eu un moment de ta carrière qui t’a particulièrement émue, marquée ?
Oui, c’est une histoire hors du commun et celle de mon tout premier contrat indépendant. Je chantais Place des Vosges sous les arcades en 2019. Une dame s’est approchée de moi pour me dire qu’elle était très émue par ma voix et qu’elle voulait que je chante à son mariage deux semaines plus tard. Malheureusement, c’était la rentrée universitaire aux États-Unis donc je ne pouvais pas rester. Je ne savais rien de cette femme, si ce n’est, d’après la carte de visite qu’elle me laissa, qu’elle était avocate et suédoise.
Deux ans plus tard, post-covid, je reçois un e-mail : elle m’écrit qu’elle se souvient encore de moi place des Vosges, et qu’elle voudrait absolument que je vienne faire un concert privé dans sa maison en Normandie. Sans hésitation, j’y suis allée en mai 2023. En fait, ils habitaient un château dans un tout petit village de 200 personnes. Ils ont reçu leurs amis de Suède et tout le village, pour l’évènement Pierre et Lumière. J’ai répété et préparé le récital avec une pianiste ukrainienne qui venait de fuir son pays. Après le concert, des gens du village sont venus me dire que c’était un soir de rêve pour eux qui auraient voulu aller à l’opéra Garnier un jour mais estimaient que c’était trop cher, trop loin, ou qu’ils avaient peur de ne pas se sentir à leur place. L’opéra était venu chez eux !