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Le monde est un village et en Papouasie-Nouvelle-Guinée il y en a des milliers

Entretien avec Olivia de Saint Luc : quand vos ancêtres vous connectent à une destination inconnue, vous vous dites que le monde cache encore bien des surprises.

Il y a un peu plus de trois ans vous avez été mutés à Port-Moresby, la capitale de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Et tu as découvert que tu avais plus d’attachements à ce pays que tu ne l’aurais jamais imaginé.

Le christianisme représente aujourd’hui 96% de la population dont 45% sont catholiques. Les missionnaires français, arrivés dans le pays en 1885 par Yule island, ne pensaient pas qu’ils auraient un tel succès dans leur mission. Il est vrai qu’ils ont, avec le catholicisme, apporté l’éducation, la santé et l’ouverture sur le monde qui faisaient cruellement défaut dans le pays.  Et, coïncidence improbable, l’une de mes ancêtres fit partie de ces Missionnaires du Sacré Cœur d’Issoudun. Son oncle, Alain de Boismenu, alors évêque dans le pays, revenait tous les dix ans en France dans la maison familiale et racontait ses voyages et ses missions. Une de ses nièces, fascinée par ses récits décida qu’elle suivrait ses pas. Elle justifia son départ à ses parents, inquiets de la voir si déterminée à partir à l’autre bout du monde : « je vais là où Dieu me dit d’aller ». C’est ainsi que sœur Solange Bazin de Jessey devint missionnaire, après une rapide formation d’infirmière, et vécu de 1932 à sa mort en 1942 en Papouasie -Nouvelle-Guinée. Elle est enterrée dans le village ou elle a vécu, avec son oncle et la sœur qui l’a précédée, Marie-Thérèse Noblet.

Comment as-tu fait ces découvertes ?

Un livre, « 100 ans chez les Papous », raconte l’histoire de ces missionnaires en Papouasie. La lecture du nom de Solange Basin de Jessey m’a tout de suite interpelée. J’ai retrouvé son nom dans la généalogie que mon père avait réalisé. Elle entretenait une correspondance régulière avec sa sœur Jehanne Villeroy de Galhau qui a servi de base à sa biographie : « Solange Bazin de Jessey, missionnaire au cœur de La Papouasie » aux éditions Salvator. On découvre dans ses récits les conditions de vie à cette époque dans un environnement hostile mais aussi son enthousiasme et son travail (la formation de sœurs appelées les Ancelles et la direction d’un orphelinat) ainsi que sa foi qui lui a permis de supporter ces dures conditions de vie. Nous sommes allés nous recueillir sur ces 3 tombes, parfaitement entretenues lors d’une célébration de l’anniversaire de la mort de l’Évêque. Ayant appris mon lien familial avec sœur Solange, un habitant du village m’a abordée en m’expliquant : « je suis l’enfant d’un orphelin que votre Grande Tante a élevé, nous sommes de la même famille !». C’était hyper touchant. Les premiers prêtres papouasiens ont ensuite été ordonnés, beaucoup de sœurs papouasiennes ont prononcé leurs vœux. Encore aujourd’hui, nous rencontrons des religieux qui sont allés en France se former et apprendre le français. Le dernier missionnaire français vit encore en Papouasie. A 84 ans, il souhaite mourir ici, même s’il a décidé de rentrer quelques mois en France cet été dire au revoir à sa famille.

Et tu dis que vous avez trouvé une connexion de plus ?

Tout à fait : mon mari entre en contact avec l’un de ses collègues pour un projet et ce collègue lui demande : « Ah vous êtes en Papouasie, avez-vous entendu parler de Sœur Geneviève de Massignac ». Il se trouve que ce collègue est le neveu de la sœur qui a succédé à ma grande tante et qui a rédigé une thèse sur les Ancelles, l’ordre qui regroupait les sœurs. 

Comment est perçue la présence des Français ?

Les Français sont très bien accueillis ici car les missionnaires ont effectué un travail considérable. Ils étaient nos premiers ambassadeurs ! Après une première tentative vers le milieu du 19ème siècle quelques missionnaires français se sont fait décimer en contractant des maladies fatales. Puis à partir de 1885 ils se sont installés à Yule Island qui a été leur QG. C’est une petite ile à l’ouest de Port-Moresby. Les missionnaires se sont déployés à partir de là. Il y avait également à cette époque des missionnaires allemands, anglais, australiens, américains dans le pays. Les Français sont restés principalement dans la région des Mekeo. Sur l’île de Yule Island il y a plusieurs missionnaires français enterrés dont un ancien pilote de l’armée française. Une tradition existe dans la marine, que nous avons à cœur de relancer : lors d’une escale d’un bâtiment français, l’équipage va se recueillir sur sa tombe et marque son passage par une plaque fixée sur sa tombe.

Lorsque nous sommes arrivés ici il y a 3 ans, nous étions une douzaine de compatriotes. Aujourd’hui, plus de 70 Français vivent dans le pays.

Est-ce que vous parvenez à visiter le pays et rencontrer des tribus ?

Les infrastructures et les moyens de communication sont très limités. Il faut se déplacer en avion. C’est toujours une aventure de voyager dans le pays. On ne sait jamais combien de temps ça va pendre mais l’accueil est toujours incroyable.

Les régions les plus difficiles d’accès sont les plus reculées dans les montagnes (un sommet culmine à plus de 4 000m et le relief est escarpé et découpé). Les forêts recouvrent 80% du territoire. Il y a toujours des guerres de clans, qui sont plus dramatiques aujourd’hui car certains sont équipés d’armes modernes. En février il y a eu 60 morts lors d’un affrontement entre deux clans.

Port-Moresby se développe très rapidement. De nombreux hôtels de standing ont vu le jour et on construit de nouveaux immeubles pour accueillir plus d’expatriés (majoritairement des Australiens). L’activité économique se développe, le pays bénéficiant d’importantes ressources naturelles (gaz, pétrole, métaux précieux, forêts, etc.)

Comment vois-tu l’avenir de ce pays où se côtoient l’âge de pierre et le 21ème siècle ?

Les jeunes générations sont tentées de rompre avec leurs traditions : elles vont, pour les plus aisées, faire leurs études en Australie et ne reviennent pas toujours. Malheureusement la perte des traditions et cultures, des langues (plus de 800 langues parlées dans le pays) est inéluctable et l’écart se creuse entre les anciens, attachés à leurs terres et leurs coutumes, et les jeunes qui aspirent au développement.

C’est tout le paradoxe du développement : il est bénéfique, apporte l’éducation et la santé par exemple, mais il expose à de grandes pertes culturelles, tribales et traditionnelles. Aujourd’hui, même si l’anglais est la langue officielle, (le pays fait partie du Commonwealth), elle est loin d’être parlée par tous. Le pidjin, forme de créole basé sur l’anglais, permet néanmoins aux Papouasiens de communiquer entre eux. L’éducation fait cruellement défaut avec un taux d’environ 30% seulement d’enfants scolarisés. L’augmentation extrêmement rapide de la population ne va pas améliorer ces chiffres, l’état n’investissant pas suffisamment dans l’éducation, la santé, et les routes qui permettraient un développement plus homogène du pays.

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